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ESS

Alimentation : quand l’économie sociale et solidaire réinvente nos assiettes

Date de publication : 23/10/2025

#Article

Gilles Larvaron

15 millions d’euros de crédits en moins pour l’ESS. C’est le chiffre qui résume la rigueur budgétaire imposée au secteur en 2025. Et pourtant, dans les territoires, les initiatives continuent de fleurir. L’économie sociale et solidaire (ESS) ne cesse de se réinventer, portée par des citoyens, des producteurs et des associations qui refusent de céder à la morosité ambiante.
Dans les champs, les cuisines, les marchés ou les épiceries solidaires, une autre manière de produire et de consommer s’installe. Une manière plus juste, plus locale, plus humaine.

L’alimentation et l’agriculture : une filière stratégique de l’ESS

Si l’économie sociale et solidaire irrigue désormais tous les secteurs, l’alimentation et l’agriculture y occupent une place particulière. Ce n’est pas un hasard : manger est un acte quotidien, vital, culturel et politique. Et dans ce domaine, l’ESS transforme en profondeur les pratiques.

En France, 75 % des agriculteurs sont membres d’une coopérative, et 40 % du chiffre d’affaires de l’agroalimentaire est d’origine coopérative. Ces chiffres illustrent à quel point les valeurs de solidarité, de mutualisation et de gouvernance partagée sont déjà bien implantées dans le secteur[1].

Du producteur…

La base de notre alimentation, c’est la production : le maraîchage, l’élevage, les cultures céréalières… En France, première puissance agricole européenne, on aime se prévaloir d’une forme de souveraineté alimentaire. Pourtant, la réalité est plus nuancée.

En Europe, 59 % des terres cultivées sont consacrées à l’alimentation animale. En France, ce chiffre descend à 44 %[2], mais reste significatif. Il révèle une dépendance à des importations agricoles que nous pourrions produire localement, avec une meilleure maîtrise de leur qualité et de leur impact sur la santé.

C’est là qu’intervient une première inflexion portée par les acteurs de l’économie sociale et solidaire : la création et la valorisation des circuits courts. Le principe est simple, mais puissant : consommer une alimentation produite à proximité de son lieu de vie. Ce modèle repose sur trois piliers :

  • Manger sainement : les fruits et légumes cultivés localement, adaptés au climat et à la saison, nécessitent moins d’intrants chimiques. Ils sont souvent plus frais et plus nutritifs.
  • Manger à prix juste : en réduisant les coûts de transport et les intermédiaires, les circuits courts permettent de proposer des produits à des prix plus accessibles.
  • Manger en conscience : en connaissant les producteurs, en les rencontrant, on comprend mieux qui nous nourrit et comment. Cela renforce le lien entre alimentation et territoire.

…au consommateur

Cette filière est aussi organisée autour des consommateurs. Les AMAP (Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) sont l’exemple le plus concret de cette relation plus directe entre producteurs et consommateurs. La première a été créée en 2001, à Aubagne, portées par Daniel et Denise Vuillon[3], inspirés par les modèles nord-américains de Community Supported Agriculture (CSA)[4]. Elles comptent 250 000 adhérents en France. Elles incarnent une autre manière de consommer : locale, saisonnière, respectueuse des producteurs et des consommateurs. Ce modèle s’est depuis étendu aux épiceries solidaires, aux boutiques paysannes, et aux magasins bio comme Biocoop ou La Vie Claire.

Elles ont aussi profité du travail précurseur des Jardins de Cocagne, créé en 1991 à Chalezeule, près de Besançon, par Jean-Guy Henckel. Ce modèle allie insertion sociale, maraîchage biologique et distribution en circuits courts sous forme de paniers hebdomadaires. Aujourd’hui, le Réseau Cocagne regroupe plus de 100 jardins, emploie 4 000 salariés en insertion, et distribue chaque semaine des paniers à 20 000 familles[5].

L’Atlas de l’ESS 2023 souligne que cette filière ne se limite pas à la production. Elle englobe aussi :

  • L’accompagnement à la conversion agroécologique des exploitations.
  • L’installation de jeunes paysans.
  • La gestion collective du foncier agricole.
  • La lutte contre la précarité alimentaire, avec des dispositifs comme la Sécurité Sociale de l’Alimentation.

En somme, l’ESS ne se contente pas de produire autrement. Elle réinvente le système alimentaire dans son ensemble, en le rendant plus écologique, plus territorialisé, et plus démocratique.

La lutte contre le gaspillage alimentaire

Chaque année, 58 kg de nourriture sont jetés par habitant en France, dont 24 kg encore consommables[6]. À l’échelle mondiale, ce sont 1 milliard de tonnes de nourriture gaspillées chaque année. Et pourtant, certaines populations vivent des famines dramatiques alors que certaines autres sont touchées par d’importants problèmes de santé publique liés à l’obésité et au surpoids[7].

Ces contrastes s’expliquent par des cultures et des traditions anciennes dans lesquelles l’abondance de nourriture est synonyme de richesse et de réussite et ce, depuis la nuit de temps (Egypte pharaonique, civilisations gréco-romaines). Alors que population mondiale pourrait atteindre 10 milliards de personnes (contre 200 millions pendant l’Antiquité) et que les terres agricoles cultivées actuellement représentent 77 % des terres cultivables potentielles[8], le gaspillage est devenu une problématique urgente.

En France, face à ce constat, deux réseaux se sont structurés :

  • Le premier, à vocation sociale, récupère les invendus des grandes surfaces pour les redistribuer via les Banques Alimentaires, les Restos du Cœur, etc.
  • Le second, plus discret mais tout aussi efficace, récupère les produits non calibrés ou hors saison directement auprès des producteurs. Des structures comme Atypique, grossiste de fruits et légumes « déclassés », transforment ces produits en conserves, bocaux ou plats cuisinés.

Une précarité alimentaire persistante

Malgré l’abondance, 7 millions de personnes en France ne mangent pas à leur faim[9]. Les produits les plus sains – fruits, légumes frais, viandes – sont souvent les plus chers. Les acteurs de l’ESS ont donc imaginé des dispositifs pour garantir un accès universel à une alimentation durable, comme la Sécurité Sociale de l’Alimentation.

Et la gastronomie dans tout ça ?

Peut-on concilier alimentation durable et culture gastronomique ? La réponse est oui. Les grandes civilisations ont toujours rayonné par leur cuisine, fondée sur des produits locaux et de saison. Ce n’est pas la durabilité qui menace la « bonne bouffe », mais la standardisation des goûts imposée par la mondialisation.

Une alimentation locale, végétalisée et accessible peut renforcer le rayonnement gastronomique français, en valorisant les terroirs et les savoir-faire.

Former les agriculteurs de demain

L’avenir de la filière passe par la formation. D’ici 2030, 53 % des agriculteurs partiront à la retraite. Il est urgent d’attirer de nouveaux talents, en valorisant les métiers de l’alimentation saine, qui prend soin de consommateurs.

Conclusion : une filière à fort potentiel

Les changements impulsés par l’ESS dans l’alimentation et l’agriculture sont portés par de nombreux acteurs engagés et inventifs. Ils n’oublient jamais que manger, c’est d’abord un plaisir.
Mais pour que ce plaisir soit partagé, il doit être accessible à toutes et tous, respectueux de l’environnement, de la santé, et digne pour celles et ceux qui nous nourrissent.


[1] [ess-france.org]

[2] https://reseauactionclimat.org/elevage-intensif-et-souverainete-les-limites-du-produire-plus/

[3] https://www.amapenbioce.org/index.php/proses/1060-1ereamap-avril2001

[4] https://www.nal.usda.gov/farms-and-agricultural-production-systems/community-supported-agriculture

[5] https://shs.cairn.info/revue-informations-sociales-2019-1-page-61?lang=fr

[6] https://agriculture.gouv.fr/infographie-le-gaspillage-alimentaire#:~:text=En%20France%2C%20en%202022%2C%209,kilos%20de%20nourritures%20encore%20comestible.

[7] https://www.unep.org/fr/actualites-et-recits/communique-de-presse/rapport-de-lonu-sur-lindice-de-gaspillage-alimentaire-le

[8] https://ressources.uved.fr/Grains_Module2/Ressources_sol/site/html/Ressources_sol/Ressources_sol.html

[9] https://www.banquealimentaire.org/lutter-contre-la-precarite-alimentaire-139

Auteur(s) :

Gilles Larvaron

Coordinateur national Économie Sociale

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