Création d'entreprise
Date de publication : 01/03/2025
Marjolaine PIERRAT-FERAILLE
Créé il y a 20 ans, le Réseau Les Premières regroupe, au sein d’une fédération, 13 incubateurs et 49 implantations locales au service des femmes décidées à créer ou à reprendre une entreprise. Marjolaine Feraille, sa déléguée générale, nous présente le fonctionnement du réseau, ses réalisations, ses projets et revient sur quelques idées reçues qui collent encore à la peau des femmes entrepreneures en 2025.
Ce réseau est né il y a plus de 20 ans de la conviction que la société française était en train de passer à côté du potentiel des femmes entrepreneures, de leurs capacités à créer de l’emploi, à diriger des TPE/PME, à créer de la croissance et de la valeur. Une situation dommageable pour les femmes qui ne pouvaient exprimer leur potentiel, pour l’économie française qui perdait une source de croissance et, plus largement, pour la société qui renonçait à une possibilité d’accroître son offre économique et donc à répondre à un plus large panel de besoins. C’est dans ce contexte, après avoir constaté qu’il n’existait aucune structure qui s’intéressait à la montée en compétences et en ambition des femmes entrepreneures en tenant compte de leur fonctionnement spécifique et de leurs freins, que Frédérique Clavel et d’autres femmes qui l’entouraient ont décidé d’en créer une. Le Réseau Les Premières était lancé.
Avant de parler des freins, évacuons ceux qui n’en sont pas. Je pense d’abord à la conjugaison des fameuses « charge professionnelle/charge familiale » qui conduirait les femmes entrepreneures à ne créer ou ne diriger que des petites structures. Lorsque l’on examine les statistiques de Bpifrance, on observe, effectivement, qu’il existe un écart de rémunération entre les entrepreneurs hommes et les entrepreneures femmes. Un écart, au détriment des femmes, qui est du même ordre que celui qui existe entre les salariés de sexes différents. Un écart qui s’accroît en fonction du nombre d’enfants : plus vous avez d’enfants, moins vous êtes payée lorsque vous êtes une femme salariée ou entrepreneure et plus vous l’êtes lorsque vous êtes un homme. Mais, précisent les études, le seul moment où les femmes entrepreneures rattrapent les hommes en termes de rémunération, c’est lorsqu’elles sont à la tête d’une famille monoparentale. Conclusion : la charge familiale n’est pas un frein mais un préjugé.
Un autre préjugé, qui lui, constitue bien un frein, est celui qui laisse entendre que les femmes choisissent des secteurs moins porteurs et moins rémunérateurs, comme le soin, que ceux choisis par les hommes qui préfèrent la « tech » ou l’industrie. Ce préjugé est tellement ancré qu’il vient brouiller notre vision des projets. Il y a quelques semaines, dans l’émission « Qui veut être mon associé ? », une entrepreneure a présenté une application qui permet de communiquer avec son ex-conjoint dans un contexte post-violences conjugales en se protégeant, en retirant tous les contenus insultants et problématiques grâce à l’intelligence artificielle, le tout en anonymisant son numéro de téléphone. Porté par une femme, le projet sera le plus souvent présenté comme une solution pour lutter contre les violences conjugales, un projet « care ». S’il l’avait été par un homme, ne pensez-vous pas qu’il aurait été systématiquement présenté comme une solution technologique dopée à l’IA ? Une présentation bien plus vendeuse et de nature à mobiliser davantage les investisseurs. En cause, une approche entrepreneuriale différente entre hommes et femmes. Une étude de l’Ifop de 2021 précisait ainsi que lorsque la première motivation des hommes qui se lancent dans l’aventure entrepreneuriale est d’augmenter leurs revenus et leur capital, celle des femmes entrepreneures est de donner naissance à un projet qui a du sens et aura un impact sur la société.
Plus largement, les freins sont du côté des financeurs et des interlocuteurs des femmes entrepreneures, notamment dans les banques, où on n’hésitera pas à leur demander ce que pense leur mari de leur projet et s’il le soutient, ce qu’on ne demande jamais à un homme. Mais les freins, comme nous venons de l’évoquer, se trouvent également chez les femmes entrepreneures elles-mêmes qui, par « réflexe », vont avoir tendance à systématiquement sous-calibrer leur business plan, à présenter leur projet de manière moins économiquement ambitieuse qu’un homme ce qui constitue un frein pour séduire un investisseur ou décrocher un financement dans une banque. Raison pour laquelle faire comprendre aux entrepreneures que leur impact sera d’autant plus fort que leur ambition économique sera élevée est au cœur de notre accompagnement.
On accompagne les femmes qui entreprennent de l’ante-création à la montée en échelle. Sachant que nous nous adressons à celles qui souhaitent créer une entreprise employeuse et non une activité de travailleur indépendant. Nous commençons, aux Premières, avec un programme d’idéation : « J’ai une idée, j’envisage de créer, est-ce que c’est fait pour moi ? ». Ce programme, d’une durée de 2 jours, va permettre de formaliser l’idée de création, de définir une feuille de route mais aussi de s’interroger pour savoir s’il n’est pas possible de gagner du temps en explorant d’autres pistes que la création : reprise d’entreprise, franchise, association avec quelqu’un qui a déjà un business proche de celui qu’envisage la créatrice.
Ensuite, nous proposons un accompagnement vers la création. Il dure de 6 mois à un an en fonction des incubateurs, à raison d’une demi-journée par semaine. C’est à la fois de la formation et de la montée en compétences. On ne vient pas se faire aider pour concevoir un business plan, mais pour apprendre à le faire soi-même. On y acquiert toutes les compétences de base sur l’entrepreneuriat et on y suit des séances de coaching sur sa posture, son ambition, sur sa manière d’aborder les entretiens individuels…
À côté de cela, nous proposons des programmes destinés aux jeunes entreprises afin d’accélérer leur développement et leur croissance ainsi que des programmes spécifiques portant sur la reprise d’une entreprise, la création d’une start-up dans la tech ou la création d’une entreprise dans un quartier prioritaire.
Chaque année, nous accueillons 1 300 entrepreneures grâce à nos 49 implantations. Nous sommes présents dans l’Hexagone mais aussi dans les territoires ultramarins.
En général, la femme qui entreprend avec Les Premières ou qui développe sa boîte avec nous est une quadra qui a déjà suivi un parcours professionnel. Très souvent, elle a exercé une fonction de direction de type RH ou marketing puis s’est trouvé confrontée à un plafond de verre l’empêchant de progresser. Consciente de ses compétences et disposant d’un peu de capital, elle a alors décidé de créer sa boîte. Ce scénario est très classique et conduit certaines femmes à créer une entreprise et d’autres, le plus grand nombre malheureusement, à devenir « seulement » consultantes. Ce n’est pas déshonorant, mais c’est un peu une perte de valeur pour elles, mais aussi pour notre société.
C’est la raison pour laquelle nous allons très bientôt ajouter dans notre offre de programmes un bilan de compétences entrepreneuriales : « Comment est-ce qu’on entreprend sa vie ? ». L’idée est de proposer à toutes ces femmes un bilan de compétences qui leur permet d’explorer à fond leur potentiel entrepreneurial afin qu’elles prennent conscience qu’une deuxième carrière ne se résume pas seulement à celle de travailleur indépendant.
En 20 ans, nous avons accompagné 25 000 femmes entrepreneures. Et même si nous ne disposons pas de chiffres globaux, les sondages que nous avons réalisés nous apprennent que les entreprises qu’elles ont créées affichent un taux de pérennité de 90 % à 3 ans. C’est plutôt pas mal. Mais le chemin à parcourir reste long. Savez-vous que seulement 12 % des TPE-PME sont dirigées par une femme et que 67 % des femmes entrepreneures se paient moins qu’un Smic ? C’est une réalité insupportable qu’il faut faire évoluer en même temps que les mentalités. On a beau être en 2025, certains continuent d’opposer « maman » et « entrepreneur », il y a des colloques, des émissions dans les médias régulièrement sur ces sujets. Une approche superficielle qui continue d’imprimer dans le cerveau des gens qu’entreprendre est plus dur pour les femmes car elles sont mamans. C’est ridicule, contreproductif et cela montre à quel point notre société a besoin d’évoluer.
Outre le bilan de compétences entrepreneuriales dont nous avons déjà parlé, nous allons renforcer notre action sur la reprise d’entreprise. Ici, il faut savoir que lorsqu’une reprise intervient dans la sphère familiale, le repreneur n’est une femme que dans 20 % des cas. Un chiffre qui tombe à 5 % hors de la sphère familiale. Quand on sait qu’il manque des repreneurs en France et que chaque année, des milliers d’entreprises disparaissent faute d’en trouver, il y a un levier économique que nous souhaitons actionner. Et là, il y a deux sujets. Le premier est de convaincre le cédant de vendre son entreprise à une femme repreneure, le second est de convaincre les entrepreneures d’envisager cette solution plutôt qu’une création.
Comme beaucoup de femmes en France, je suis dans ma deuxième vie professionnelle. La première partie s’est déroulée dans la communication politique d’abord comme salariée, puis comme indépendante. Ensuite, avec mon conjoint, nous sommes partis en Afrique du Sud où je suis devenue déléguée générale de la Chambre de Commerce franco-sud-africaine. On y appliquait une logique d’animation des communautés, les grandes entreprises avec les plus petites, l’industrie avec le service avec toujours l’objectif de créer de l’intelligence collective. Une expérience sud-africaine passionnante qui m’a également fait prendre conscience du retard de la France sur le sujet de l’égalité femmes/hommes, lorsqu’on la compare à l’Afrique du Sud. Un pays dans lequel des politiques de discriminations positives ont permis à de nombreuses femmes d’accéder à des postes de direction générale. À mon retour en France, cela m’a donné envie de travailler sur ce sujet, si possible au sein d’une structure associative en étroite relation avec l’économie, le business et la création de valeur. Le Réseau Les Premières s’y prêtait parfaitement !
Marjolaine PIERRAT-FERAILLE
Déléguée Générale du Réseau les Premières