Date de publication : 17/11/2025

Philippe Guay
Comme pour les entreprises, la fraude peut constituer une menace majeure pour les associations françaises. Elle peut prendre des formes variées, allant des détournements de fonds aux fausses factures, en passant par les emplois fictifs et la fraude fiscale. Ces pratiques frauduleuses peuvent entraîner des conséquences financières, juridiques et réputationnelles graves pour les organisations concernées. Nous vous proposons d’aborder, ci-après, les principales typologies de fraude, leurs mécanismes, les sanctions encourues, ainsi que les dispositifs de prévention et de détection.
Les détournements de fonds impliquent l’appropriation illicite de ressources financières par des individus au sein de l’organisation. Cela peut se manifester par des virements non autorisés, des retraits en espèces injustifiés ou l’utilisation abusive de cartes bancaires professionnelles. Bien entendu, la malversation est, ici, simplifiée et aggravée lorsque l’auteur du détournement détient l’autorité et les pouvoirs sur les moyens de paiement, sans aucun autre contrôle au sein de l’entité.
Exemple : Dans plusieurs affaires qui ont défrayé la chronique, des dirigeants ont été condamnés pour avoir détourné des fonds via des surfacturations et des fausses factures, entraînant des pertes financières importantes pour l’entité.
La création ou l’utilisation de fausses factures permet de justifier de dépenses fictives ou d’augmenter artificiellement les charges de l’organisation. Cette pratique est souvent utilisée pour dissimuler des détournements de fonds ou pour frauder le fisc lorsqu’on est en présence d’une entité fiscalisée. Le principe s’appuie souvent sur la prise en charge en comptabilité de factures non fondées (ou de copies de factures réelles) mais dont le règlement profite à un tiers non identifié, bénéficiaire du détournement des fonds.

Exemple : L’affaire Bygmalion a révélé un système de fausses factures visant à masquer les dépassements de frais de campagne d’un candidat aux élections présidentielles en 2012, impliquant des montants de plusieurs millions d’euros.
Les notes de frais falsifiées constituent une forme courante de fraude interne. Cela inclut la soumission de justificatifs infondés ou falsifiés, le gonflement des kilomètres parcourus ou la déclaration de dépenses personnelles comme professionnelles. Ce sujet est bien souvent sensible car l’émission des notes de frais découle fréquemment de l’initiative de son bénéficiaire. Pour cela, l’organisation de l’entité nécessite une adaptation ou l’utilisation d’un logiciel permettant d’en effectuer un contrôle strict comprenant l’intervention de plusieurs niveaux d’autorisation destinés à en sécuriser l’acceptation jusqu’au règlement.
Exemple : Des cas ont été signalés où des employés ont présenté des notes de frais pour des repas fictifs ou ont exagéré les distances parcourues pour obtenir des remboursements indus.
La fraude fiscale englobe diverses pratiques visant à échapper à l’impôt, telles que la dissimulation de revenus, la fausse déclaration de charges ou l’utilisation de sociétés écrans. La fraude fiscale est bien souvent mise en place à l’initiative d’un ou plusieurs dirigeants qui en tirent profit soit pour l’entité elle-même, soit par l’intermédiaire de l’entité dont ils ont la responsabilité. Il convient de ne pas confondre ce sujet avec le principe de « l’optimisation fiscale » où la recherche d’économiser l’impôt est fondée sur l’application de règles légales.
Exemple : Les “Dubaï Papers” ont mis en lumière un système d’évasion fiscale impliquant des entreprises françaises utilisant des sociétés basées aux Émirats arabes unis pour défiscaliser illégalement des revenus.
Ce type de fraude concerne le vol ou l’utilisation non autorisée de biens matériels appartenant à l’organisation, tels que des équipements, des stocks ou des véhicules. Les fraudes aux marchandises sont fréquentes dans les associations qui collectent de nombreux biens (objets, nourriture, etc.) dans le cadre de la générosité du public. Les entités qui évoluent dans ce secteur font généralement appel à de nombreux salariés et bénévoles. Les règles d’organisation et le partage des responsabilités doivent garantir la mise en place d’un contrôle interne efficace pour éviter toutes malversations relatives aux détournements de marchandises.
Exemple : Dans certaines associations, des bénévoles ou des salariés ont été impliqués dans le détournement de matériel informatique ou de fournitures destinées aux activités de l’organisation.
Les emplois fictifs consistent à rémunérer des individus pour des postes inexistants ou pour des fonctions non exercées, souvent dans le but de détourner des fonds ou de financer illégalement des activités politiques. Cette pratique permet de faire bénéficier certaines personnes d’un revenu et d’une couverture sociale au titre d’une activité salariée qui n’existe pas. Bien souvent, la charge correspondante est neutralisée en termes de coûts par l’obtention d’une subvention attribuée dans le cadre d’un marché public.
Exemple : L’affaire Urba a révélé un système de financement occulte d’un parti politique français, impliquant des emplois fictifs et des fausses factures pour détourner des fonds publics.
Certaines associations bénéficient de financements publics sous forme de subventions, de conventions pluriannuelles d’objectifs ou d’aides indirectes (mise à disposition de locaux, exonérations, etc.). Lorsqu’un dirigeant ou un membre de l’association utilise ces fonds à des fins personnelles ou pour des dépenses sans lien avec l’objet social, il s’agit d’un « détournement de fonds publics », une infraction pénale particulièrement grave.
Exemple marquant : L’affaire de l’association d’insertion “Objectif emploi solidarité” à Marseille a révélé l’usage frauduleux de subventions municipales, avec des factures fictives et des dépenses non justifiées. Les responsables ont été poursuivis pour abus de confiance aggravé et escroquerie aux subventions publiques.

Pour les financeurs publics, ce type de fraude justifie une vigilance accrue sur les bilans, les rapports d’activités et les pièces justificatives des dépenses subventionnées. L’état et les collectivités publiques qui délivrent ces financement soumettent régulièrement les dossiers d’attributions de fonds publics à des audits confiés à la Cour des comptes ou à des cabinets d’audit spécialisés (sur appels d’offres).
Certaines associations, habilitées à délivrer des reçus fiscaux ouvrant droit à une réduction d’impôt dès lors qu’elles sont d’intérêt général (article 200 et 238 bis du CGI), peuvent être tentées d’émettre abusivement ces documents dans le but d’attirer des donateurs ou de dissimuler des pratiques frauduleuses. Cette fraude peut consister à délivrer un reçu sans qu’aucun don réel n’ait été effectué, ou à majorer le montant indiqué sur le reçu, parfois en contrepartie d’un avantage consenti au “donateur”.

Exemple : Dans plusieurs affaires recensées par l’administration fiscale, des associations caritatives ont délivré de faux reçus à des entreprises ou particuliers ayant en réalité payé pour des prestations commerciales, faussant ainsi la nature du versement et bénéficiant indûment de réductions fiscales.
L’administration fiscale exerce une vigilance particulière sur ce type d’abus. En cas de contrôle, elle peut remettre en cause le régime fiscal de l’association, exiger le remboursement des avantages indus, et engager des poursuites pour escroquerie ou complicité de fraude fiscale. Il est donc essentiel que l’émission de reçus soit strictement réservée aux dons sans contrepartie, dûment enregistrés et justifiés. Depuis ces dernières années, la règlementation et la doctrine fiscale encadrent sérieusement les émissions de reçus fiscaux par les organismes habilités et leur contrôle par l’administration.
La nature et la gravité des faits reprochés aux auteurs de ces malversations et détournements permettent d’appliquer tout un ensemble de sanctions adaptées prévues par les lois et règlements.
Ainsi, les autorités compétentes pourront appliquer, selon les cas :
Des dispositions d’organisation administrative simples et de bon sens sont parfois suffisantes pour renforcer la sécurité de votre contrôle interne. Ainsi, la séparation des tâches entre différents intervenants est un excellent remède car elle évite la concentration sur une seule et même personne et permet un système d’auto-contrôle entre plusieurs.
Exemple : Pour un organisme faisant appel à la générosité du public, l’ouverture du courrier doit obligatoirement faire intervenir deux personnes au minimum pour vérifier le contenu des enveloppes où se trouvent souvent des chèques sans ordre ou encore, des valeurs en espèces (billets de banques).
L’établissement de procédures de contrôle interne rigoureuses est essentiel pour prévenir la fraude. Cela inclut la séparation des fonctions, la validation des dépenses par plusieurs niveaux hiérarchiques et la réalisation d’audits réguliers. En ce qui concerne les délégations de pouvoir, vous veillerez à ce que ceux-ci soient idéalement répartis, ne soient pas trop concentrés sur une seule et même personne (salarié ou bénévole), et leur exécution contrôlée régulièrement par un dirigeant de l’association.
A quoi sert le contrôle interne dans une association ?En ce qui concerne les accès aux paiements bancaires, nous vous recommandons, quelle qu’en soit la forme (chèque, virement ou carte) de retenir un dispositif toujours contrôlable par un tiers. Et ce contrôle devrait être systématique. Cette règle doit également être appliquée pour les règlements récurrents tels les virements de salaires et frais de déplacements, chaque mois.

Toute organisation structurée et sécurisée en matière de contrôle interne ne peut être efficace que si chaque opérateur est bien informé de sa fonction et conscient de ce qu’on attend de lui. Il est important de former les collaborateurs, salariés et bénévoles aux risques de fraude et aux procédures à suivre en cas de suspicion. Cette démarche est cruciale pour créer une culture d’intégrité au sein de l’association. Si vous rédigez un guide des procédures, il convient de le diffuser et d’informer régulièrement tous les intervenants de sa mise à jour.
L’adoption de logiciels de gestion financière et de détection des anomalies peut aider à identifier rapidement les transactions suspectes et à prévenir les fraudes. Ces logiciels consistent, bien souvent, à optimiser les services comptables et la gestion quotidienne de l’association. Il s’agit, par exemple, de services destinés à traiter les déplacements des collaborateurs et bénévoles, de logiciels de gestion des dons et émissions de reçus fiscaux, de logiciels de gestion des stocks de produits issus de la générosité, etc.

Il n’y a rien de plus fragile qu’une procédure de contrôle interne. L’utilisation quotidienne des procédures entraine inévitablement leur usure ou une mauvaise application bien souvent « involontaire ». Mais aussi « volontaire », par les contrevenants. Votre rôle consiste à vous assurer que le système sécurisé que vous avez mis en place garde sa solidité en établissant régulièrement des contrôles par sondage.
La création de canaux de signalement anonymes permet aux membres de l’organisation de dénoncer les comportements frauduleux sans crainte de représailles. Ce dernier point est à manipuler avec précaution car il peut être à l’origine de la dégradation de l’ambiance et des relations humaines au sein de votre organisation.
La fraude au sein des organismes représente un risque significatif pour les associations et organismes sans but lucratif en France et peut prendre des formes diverses et variées.
Dans ce domaine, les auteurs ne sont pas en manque d’imagination. Dès qu’ils détectent une faille dans les sécurités de votre organisation, ils n’hésitent pas à en profiter pour s’y glisser. Cela commence toujours par un essai peu conséquent en termes financiers. Et si la « manœuvre frauduleuse » n’est pas détectée, il peut s’en suivre une série d’autres malversations dont la chaîne peut considérablement obérer vos finances.
Une approche proactive, combinant des contrôles internes solides, une culture organisationnelle éthique s’avère indispensable pour contrer ces risques. N’hésitez pas à vous entourer d’avis et conseils éclairés pour sécuriser votre organisation et vos opérations financières.
Puis, demandez régulièrement à votre commissaire-aux-comptes d’orienter sa mission vers le contrôle de votre organisation en planifiant des tests et des sondages pour s’assurer que le dispositif de sécurité est solide. Au demeurant, l’instauration d’une réflexion sur la cartographie des risques au sein de votre organisme vous permettra de planifier et séquencer les actions à entreprendre pour garantir au mieux les sécurités qui vous permettront de préserver vos actifs et votre patrimoine collectif.

Philippe Guay
Expert-comptable, commissaire aux comptes, spécialisé ESS
Philippe est un expert-comptable et commissaire aux comptes qui a accompagné pendant de nombreuses années de multiples associations, fonds et fondations.