Sécurité Sociale de l’Alimentation : vers un accès universel à une alimentation durable
Date de publication : 28/07/2025
#Article
Charlotte Marchand
Le 19 octobre 1945, la Sécurité sociale a été créée dans l’objectif de protéger chaque citoyen français en cas d’imprévus au cours de la vie. Elle est composée de cinq branches : Famille, Maladie, Retraite, Recouvrement et Autonomie. Or, qu’en est-il de l’alimentation ?
Selon une étude du CRÉDOC,116 % des Français déclaraient ne pas manger à leur faim en novembre 2022. Face à cette précarité alimentaire croissante, plusieurs initiatives expérimentales s’inspirant de la Sécurité sociale de l’alimentation (SSA) ont vu le jour. Ces projets visent à garantir un accès équitable à une alimentation saine et durable, tout en soutenant une agriculture locale et respectueuse de l’environnement. À Paris, une expérimentation a été lancée en septembre dernier dans trois arrondissements : les 14e, 18e et 20e. Elle concerne une centaine de foyers, à qui une somme mensuelle a été attribuée pour être dépensée dans des commerces partenaires. Favorisant une économie locale, chaque bénéficiaire cotise en fonction de ses revenus, le reste étant financé par des subventions publiques. D’autres villes, comme Bordeaux, Montpellier, Lyon ou encore Toulouse, ont également entrepris des projets similaires. La SSA s’impose ainsi comme un dispositif innovant et ambitieux. Dans cet article, nous explorerons les défis et les modalités concrètes de sa mise en oeuvre avec l’exemple de CALIM8 du collectif TerritoireS à VivreS – Grand Lyon. Et nous verrons également que les Monnaies Locales Complémentaires y ont un rôle à jouer à travers les exemples de la Doume et de la Cagnole.
Les Monnaies Locales à la genèse des premières expérimentations de SSA ?
En France, il existe plus de 80 Monnaies Locales Complémentaires. Des Monnaies… quoi ? Vous avez bien lu, les Monnaies Locales Complémentaires (MLC), fédérées par le Mouvement Sol, sont des monnaies alternatives, des intermédiaires d’échange (équivalent euro), qui favorisent une économie locale et circulaire. La France est le premier pays européen à légiférer sur les monnaies locales avec la loi de l’ESS de juillet 2014.
À Lyon, il y a la Gonette, et à deux heures de là, vers Clermont-Ferrand, on trouve la Doume, en circulation depuis 2015. Créée avec l’objectif de promouvoir l’économie territoriale et de soutenir les filières agricoles locales, c’est en 2021 que l’on voit apparaître, au sein de l’association auvergnate, l’une des premières expérimentations de la Sécurité Sociale de l’Alimentation. Ayant pour ambition de mettre la qualité à portée de tous, la Doume a lancé un premier projet de « bonus social à la conversion » pour venir en aide aux personnes dans le besoin. Autrement dit, « les bénéficiaires qui convertissaient 10 euros recevaient en échange 15 Doumes, ce qui leur permettait d’augmenter leur pouvoir d’achat », explique Angèle Dransart ex-salariée de la Doume et co-présidente du Mouvement Sol. La Doume avait d’ailleurs établi un partenariat avec une épicerie solidaire à destination des étudiants au coeur de Clermont-Ferrand, LieU’topie, et également avec la Mission Locale et l’association Chôm’actif. Ce premier projet s’est donc ancré dans un mouvement plus global dans l’Hexagone et nous allons voir que cela a donné lieu à plusieurs expérimentations.
Des expérimentations à foison : focus sur le collectif TerritoireS à VivreS – Lyon
Au même moment, le terme de SSA prenait peu à peu place dans le débat politique, et une autre expérimentation été initiée à Montpellier, se détachant cette fois des Monnaies Locales Complémentaires. Cette expérimentation, qui s’ancrait alors dans le programme national « Territoires à Vivre-S », a bénéficié d’une forte couverture médiatique, ce qui a permis au projet de s’implanter dans de nombreuses autres villes. Bordeaux, Toulouse ou encore Lyon se sont alors lancés dans l’aventure peu de temps après. La Doume, citée plus haut, a alors lancé en 2022 Soli’Doume, « une sorte de mutuelle de l’alimentation » précise Angèle Dransart. En partenariat avec la CRESNA (coopérative) et le CISCA (Le Centre d’Innovations Sociales Clermont Auvergne), Soli’Doume accompagne les changements de pratiques alimentaires en donnant accès aux plus démuni.e.s à des produits de qualité.
À Lyon, c’est le collectif TerritoireS à VivreS – Grand Lyon qui porte une expérimentation dans le 8e arrondissement, qui a pu être lancée en septembre 2024, soit 3 ans après les premières réflexions. Cet arrondissement n’a pas été choisi au hasard : marqué par une grande précarité, il bénéficie d’une forte mixité sociale et d’un tissu associatif dense et engagé, alors propice au bon fonctionnement du projet. Actuellement, la caisse fonctionne grâce à un comité citoyen, appelé CALIM8, composé d’une trentaine d’habitant·es volontaires et tiré·es au sort. Ce comité définit les règles de fonctionnement, les critères d’éligibilité et sélectionne les structures partenaires. Les bénéficiaires, désignés prioritairement parmi les publics en situation de précarité, reçoivent chaque mois une allocation alimentaire d’environ 150 €, modulée selon la composition du foyer. Cette somme, numérisée sur une application2, est utilisable dans un réseau de lieux de distribution partenaires de la démarche (épiceries, marchés, producteurs locaux), qui s’engagent à respecter des critères de qualité co-construits (alimentation locale, bio, équitable, etc.).
Six mois après son lancement, CALIM8 coopère maintenant avec 22 lieux conventionnés et répond aux besoins de 270 bénéficiaires qui témoignent avec reconnaissance de leur expérience.
« Faire partie de l’expérimentation, ça permet de faire face à des crises qui nous traversent, mais qui ne nous définissent pas, ça redonne de la dignité et de la confiance en soi. »
Naïma, membre de CALIM8
En partie financée par la Métropole de Lyon et la DDETS3, l’expérimentation dispose d’un budget total de 755 000 € sur 3 ans jusqu’en 2026, et devrait pour cette première phase se conduire jusqu’en décembre prochain. Actuellement, les contributions des membres financent au moins 25 % du fonds de caisse et 11 % du projet global. De nouveaux financeurs comme la Ville de Lyon ou encore la Banque des Territoires devraient rejoindre l’aventure cette année, et le collectif travaille également sur plusieurs leviers : « On essaie de travailler avec des entreprises afin qu’elles proposent à leurs salariés d’entrer dans la caisse de l’alimentation. L’idée, c’est que la cotisation soit partagée entre l’employeur et le salarié, ce qui nous permettrait de récupérer des cotisations à 150 €, soit le montant maximum. Cela augmente notre autofinancement, donc notre autonomie financière. On réfléchit aussi à une forme de contribution des lieux conventionnés. C’est un projet sur lequel on avance petit à petit. » précise Amélie Charvériat, coordinatrice de TerritoireS à VivreS – Grand Lyon.
Faire face à la précarité en ruralité : L’exemple de Soli’Cagnole
La Cagnole est la monnaie locale du département de l’Yonne. Au même titre que la Doume, elle a elle aussi créé son système de caisse de solidarité alimentaire, Soli’Cagnole, en novembre 2024. La différence entre les deux projets cités précédemment est que la Cagnole intervient sur un territoire de grande ruralité. Selon l’INSEE, en janvier 2025, l’Yonne compte 342 095 habitant·es sur l’ensemble de ses 423 communes. Malgré une maigre démographie, l’association de Monnaie Locale avait à coeur de porter un projet similaire d’expérimentation de la SSA. Étroitement liée avec l’association de Monnaie Locale La Cagnole, cette expérimentation est en cours sur quatre communes du département avec quatre caisses distinctes (Pays d’Othe, Puisaye-Forterre, Sénonais, Auxerrois Chablisien Aillantais). Sur chacune des caisses, les bénéficiaires reçoivent 50 Cagnoles (l’équivalent de 50 euros) qu’ils doivent dépenser dans des commerces alimentaires partenaires. Pour bénéficier de cette allocation les participant.es doivent cotiser au minimum 3 Cagnoles. Le conventionnement se fait alors de manière démocratique, à l’image de CALIM8 à Lyon et Soli’Doume à Clermont-Ferrand.
« Bien que le montant de l’allocation soit moindre que dans les grandes villes, les caisses du département permettent aux publics fragiles d’accéder à une alimentation locale et saine. (…) J’ai l’exemple de cette maman en situation de grande précarité qui était heureuse de pouvoir acheter des légumes frais pour faire des petits pots à son bébé. » Pascal Paquin, co-fondateur de la Cagnole
Par ailleurs, pour bénéficier de la caisse, chaque personne doit également adhérer à la monnaie locale à hauteur de 5 euros. Dans les cas de grande précarité, c’est la Cagnole qui prend en charge ces frais. La monnaie locale est donc l’intermédiaire d’échange entre les bénéficiaires et les divers partenaires. Pascal Paquin explique : « Beaucoup de gens pensent qu’une Monnaie Locale, c’est un outil de bobos. En réalité, c’est un acte politique fort qui valorise l’économie locale. Par exemple, si la librairie du coin reçoit de la monnaie locale au lieu d’euros, elle ne pourra pas placer cet argent à la banque. Elle devra le réutiliser en achetant auprès d’autres commerces partenaires. Ainsi, l’argent ne partira pas chez Amazon, par exemple. Il continuera à circuler localement, au bénéfice du territoire et de son dynamisme. »
D’autre part, Soli’Cagnole travaille en partenariat avec la CAF et la CPAM de l’Yonne, qui financent des ateliers cuisine. L’objectif est de permettre aux bénéficiaires de ces caisses de s’approprier une alimentation de qualité. Pour 2025, plusieurs projets autour de l’alimentation sont prévus par la Cagnole. L’association souhaite organiser, avec la commune d’Auxerre, des rencontres festives et des défis alimentaires pour sensibiliser les citoyens à l’importance d’une meilleure alimentation.
À travers ces différents exemples, on comprend alors que la SSA représente alors un réel enjeu de santé publique et permet à chacun et chacune de repenser son mode de consommation. C’est donc la pluralité des expérimentations qui illustre son ambition.
Pour en savoir plus sur la caisse alimentaire de Lyon 8, c’est par ici. Et pour (re)découvrir les Monnaies Locales Complémentaires et leur fonctionnement, rendez-vous sur le site du Mouvement Sol.
Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de Vie, est un organisme d’études et de recherche au service des acteurs de la vie économique et sociale. ↩︎
Il est également possible de payer grâce à un numéro d’adhérent pour les personnes qui n’ont pas accès ou ne peuvent pas utiliser le numérique. ↩︎
La Direction Départementale de l’Emploi, du Travail et des Solidarités. ↩︎
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