ESS
Date de publication : 04/09/2025
Charlotte Marchand
Le suicide. Un terme qu’on n’ose parfois à peine prononcer. Qui trébuche sur les lèvres, y laissant avec douleur un air grave. Pourtant, il est nécessaire d’aborder le sujet, car de plus en plus de jeunes sont concernés. Selon l’OMS, il s’agit de la 3ᵉ cause de mortalité chez les jeunes entre 15 et 29 ans. En France, les pensées suicidaires ont plus que doublé entre 2014 et 2021, d’après une étude de Santé publique France.
La pandémie de COVID-19 et les nombreux épisodes de confinement ont notamment amplifié les gestes suicidaires à partir du deuxième semestre 2020. Le Baromètre Santé 2021 de Santé publique France a permis d’identifier que les jeunes femmes étaient particulièrement touchées, avec une prévalence des pensées suicidaires atteignant 9,4 %, contre 5 % pour les jeunes hommes. Outre les effets de la pandémie, les facteurs contributifs incluent également la précarité étudiante, le harcèlement scolaire ou encore les troubles de la santé mentale non pris en charge.
Fondé en 2003 et porté par l’association Écouter et Prévenir, le Lieu Écoute propose un accompagnement et un soutien psychologique pour les jeunes entre 9 et 25 ans. Situé sur la commune de Vaulx-en-Velin, le Lieu dispose de trois permanences : Au Mas du Taureau, au Point info Village ainsi qu’au Centre Social Peyri.
Contrairement à d’autres PAEJ, l’équipe est exclusivement composée de cinq psychologues et d’un cadre administratif. Cela vient répondre à un besoin local, sur un territoire où les services de soutien psychologique se font rares. Par souci de confidentialité, le lieu de rencontre principal, situé au cœur du Mas du Taureau, se trouve dans un espace résidentiel : « L’idée était de faciliter l’accès aux jeunes qui hésiteraient à venir, en gardant l’anonymat », précise Alice Bourganel, psychologue au Lieu Écoute.
Comme évoqué plus haut, le lieu accompagne les enfants dès l’âge de 9 ans, et non 12 ans comme habituellement. Cette caractéristique s’inscrit dans une volonté de sensibiliser à la santé mentale dès le plus jeune âge. Pour cela, le Lieu Écoute travaille en étroite collaboration avec divers partenaires, dont l’Éducation nationale. L’équipe intervient dans les établissements scolaires de la ville, de la primaire aux établissements d’études supérieures.
« On se rend dans les établissements scolaires en proposant des animations collectives autour de différents sujets (…) il peut être question du rapport aux écrans, de l’estime de soi, de harcèlement scolaire, des addictions ou encore du suicide », explique Alice Bourganel.
C’est notamment grâce à ces nombreuses interventions que le Lieu Écoute établit le premier contact avec certains jeunes qui n’oseraient peut-être pas venir d’eux-mêmes, ou qui ne connaissent tout simplement pas l’existence de ces services. Le bouche-à-oreille est aussi une autre porte d’entrée qui facilite les premières démarches.
Car, bien que le sujet de la santé mentale se soit démocratisé ces dernières années, il reste tout de même difficile pour les jeunes d’oser faire le premier pas. La peur d’être démasqué et la honte de devoir consulter sont encore présentes, notamment chez les garçons. Alice Bourganel précise qu’ils reçoivent 61 % de jeunes filles, contre 39 % de jeunes hommes. D’après la psychologue, cela pourrait s’expliquer en partie par une socialisation genrée, où les petites filles auraient davantage tendance à exprimer leurs
émotions, contrairement aux garçons, qui passeraient plus rapidement à l’acte sans avoir verbalisé leur mal-être.
« Pour les garçons, il y a encore largement cette idée qu’aller voir un psy, c’est pour les fous (…) on reste dans les stéréotypes qu’un garçon ne pleure pas, ne parle pas » psychologue au Lieu Écoute.
Pour briser ces clichés qui ont la peau dure, il était essentiel pour le Lieu Écoute de sortir de l’esprit d’un cabinet médical. Exit le blanc immaculé impersonnel : l’équipe reçoit ses jeunes patients et leurs parents dans un appartement aménagé, où des couleurs chaudes et de beaux canapés apportent une atmosphère chaleureuse et rassurante. Comme dans tout PAEJ, l’accompagnement psychologique proposé est entièrement gratuit et personnalisé.
Une fois la première rencontre effectuée, le plus important pour les psychologues est de gagner la confiance du jeune, en lui permettant de trouver du sens dans cette démarche. Le premier rendez-vous peut être initié par les parents et/ou les proches qui se retrouvent confrontés à une difficulté au quotidien, et/ou qui soupçonnent un mal-être chez leur enfant.
Le jeune peut aussi faire la démarche de lui-même, la présence des parents n’étant pas obligatoire pour commencer un suivi. Par la suite, le psychologue en charge pourra soit proposer une redirection vers un psychiatre s’il constate une pathologie nécessitant un traitement ou un accompagnement plus approfondi, soit continuer le suivi avec un accompagnement régulier adapté. Le professionnel, au-delà d’apporter son aide directe, pourra aussi conseiller les parents sur les comportements à adopter, notamment en cas de pensées suicidaires.
« Alors, le premier conseil que je donnerais, c’est de ne pas éviter d’en parler et de mettre des mots sur… C’est vrai qu’on peut avoir l’impression que si on parle avec un jeune qui va mal, d’idées suicidaires, de suicide, de passage à l’acte, on risque d’intensifier le mal-être du jeune. Alors qu’en fait, il ne faut pas hésiter à mettre des mots et à dire les choses telles qu’elles sont : “Est-ce que tu as déjà pensé à te
suicider ? Est-ce que tu y penses souvent ?” (…) Le jeune va se sentir considéré dans sa douleur », Alice Bourganel, psychologue au Lieu Écoute.
Outre la peur d’évoquer le sujet, il y a parfois une incompréhension face à la souffrance, et un questionnement sur les causes de la fragilisation de la santé mentale chez les jeunes. Alice Bourganel souligne qu’il n’y a, à l’heure actuelle pas de réelles explications à la hausse de l’anxiété et du suicide chez les jeunes, les causes étant plurifactorielles : « On a beaucoup parlé de la crise de la Covid-19 et de l’impact du confinement sur la santé mentale. Cela a effectivement pu contribuer à cette augmentation, mais il est important de rappeler que plusieurs facteurs sont en jeu : qu’il s’agisse des écrans, des réseaux sociaux, des violences intrafamiliales ou encore du harcèlement (…) le contexte général est actuellement très anxiogène. »
Bien que le Lieu Écoute soit porté par une équipe de professionnels passionnés et dévoués, le PAEJ est confronté à quelques difficultés. Face à de nombreuses baisses de financement public, il devient crucial pour le lieu de repenser son modèle économique, en se tournant davantage vers le mécénat et/ou vers des structures privées.
L’équipe étant en codirection, la recherche de financement doit être assurée directement par les psychologues, ce qui rajoute une charge non négligeable. Alice Bourganel témoigne de son inquiétude face à ce nouveau défi : « Cette recherche de financement, d’appel à projets, va nous demander beaucoup de mobilisation, cela va nous demander d’être visibles (…) et tout ça, ça serait au détriment des suivis individuels et familiaux. »
Le Lieu Écoute, bien que faisant face à un nouveau défi, démontre qu’une écoute active et un accompagnement adapté peuvent réellement sauver des vies et contribuer à briser les tabous qui entourent la santé mentale.