ESS, Social
Date de publication : 13/03/2024
Hayat Boaira
Lancé en 2016 à titre expérimental, ce dispositif a pour ambition de mettre fin à la privation durable d’emploi dans les quartiers les plus défavorisés. Hayat Boaira, Directrice du projet Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) de la ville de Villeurbanne, nous explique son fonctionnement.
Il faut avant tout savoir que ce n’est pas un dispositif de droit commun mais une expérimentation nationale qui a été lancée en 2016. Ce dispositif a été imaginé par ATD Quart Monde dans les années 1990 et proposé au gouvernement en 2014 en partant du constat que personne n’était inemployable à condition d’inverser la manière de penser l’emploi : au lieu d’embaucher dans mon entreprise des personnes selon mes besoins en compétences, je vais tenir compte des compétences des personnes que je recrute pour créer des activités et trouver un modèle économique.
L’idée derrière tout cela étant, à la fois, d’offrir du travail à des gens éloignés de l’emploi et d’utiliser leurs compétences pour effectuer des travaux d’intérêt général que les entreprises traditionnelles n’effectuent pas pour des raisons de rentabilité. Et, idéalement, d’atteindre ces objectifs à budget social constant.
En 2016, 10 territoires ont été choisis dans le cadre de cette expérimentation. Villeurbanne a postulé pour en faire partie et a installé son premier territoire zéro chômeur dans le quartier Saint-Jean. Un quartier enclavé, classé « quartier prioritaire de la politique de la ville », avec un taux de chômage plus élevé que la moyenne, moins de services publics et une population en grande difficulté. Même si des choses devaient être améliorées à Villeurbanne comme dans les autres territoires, l’expérience s’est révélée plutôt positive.
Du coup, une deuxième loi a été adoptée en 2021 permettant le financement de 50 nouveaux territoires zéro chômeur. Dans ce cadre-là, Villeurbanne a obtenu, en décembre 2022, l’habilitation d’un second territoire zéro chômeur dans le quartier Les Brosses. Et, pour faire face aux nombreuses demandes des collectivités locales, une vingtaine d’autres devraient s’y ajouter, portant le nombre total de territoires zéro chômeur à 80 d’ici juin 2024.
Nous sommes dans un processus d’habilitation des territoires par l’État. Et si les collectivités sont à l’initiative de la démarche, elles doivent réunir un certain nombre de conditions pour décrocher cette habilitation. La première condition, fondatrice, est de rendre cette démarche collective en y associant tous les acteurs de l’emploi : France Travail, anciennement Pôle Emploi, les missions locales ou encore les entreprises du secteur. Avec eux, va être créé un « comité local pour l’emploi », un outil de pilotage local et collectif qui va établir et suivre les actions lancées pour permettre la mise en œuvre du « droit à l’emploi » sur le territoire.
Sans ces acteurs locaux, il serait impossible d’identifier les personnes durablement éloignées de l’emploi, de connaître leur savoir-faire, leurs compétences, leurs envies et leurs désirs de formation. Leur présence sur le terrain va également être déterminante pour faire émerger les besoins non satisfaits dans le quartier, les lister et créer une ou plusieurs entreprises à but d’emploi (EBE). Des EBE qui viendront recruter les personnes durablement privées d’emploi proposées par le comité local et utiliser leurs compétences pour répondre aux besoins identifiés. Si tous ces critères ne sont pas réunis, votre projet territoire zéro chômeur ne sera pas validé par l’État.
Comme nous l’avons déjà évoqué, les principes de recrutement classiques ne s’appliquent pas. Le comité local va identifier des personnes durablement éloignées de l’emploi, s’assurer qu’elles sont prêtes et motivées pour reprendre un travail, ce qui est le cas 7 fois sur 10, puis essayer de leur trouver une solution. Et lorsque les solutions classiques de reprise d’activité professionnelle ou de formation ne sont pas adaptées, il va leur proposer une place dans une EBE.
Concrètement, dans le quartier Les Brosses, nous allons contacter Julie Jacquot, la directrice de l’EBE Bross’Up, pour lui demander combien de personnes de ma liste d’attente son entreprise est en mesure d’accueillir. Elle va m’indiquer un nombre et un délai à l’issue duquel elle les embauchera sans les sélectionner puis, en tenant compte de leurs compétences, leur proposera des missions utiles au quartier. En suivant cette démarche, Bross’Up a déjà mis en place une activité de sauvetage de plantes, notamment auprès des fleuristes afin de les vendre à des tarifs solidaires aux gens du quartier, et des ateliers de couture. Côté statut, ces personnes sont recrutées en contrat à durée indéterminée à temps choisi.
Ce dernier point est très important car nous nous sommes rendu compte, en travaillant avec des personnes en situation de précarité, que la rigidité des horaires constituait un véritable frein à une reprise d’emploi. C’est particulièrement vrai chez les femmes seules qui font face à des contraintes de garde d’enfant ou chez les personnes dont l’état de santé ne leur permet plus de travailler 7 ou 8 heures dans une journée.
Lorsque vous mettez en place un territoire zéro chômeur, vous vous engagez avec l’État à créer une dynamique destinée à proposer un emploi aux personnes qui en sont privées durablement. On appelle cette ambition « l’exhaustivité territoriale ». En pratique, sur le quartier Les Brosses, nous nous sommes engagés à trouver, en 5 ans, un emploi durable à 300 personnes. Sur ces 300 personnes, on estime que 200 seront embauchées par une EBE.
Bross’Up s’en chargera jusqu’à ce qu’elle atteigne un niveau trop élevé de salariés. À ce moment-là, nous créerons une nouvelle EBE. Dans le quartier Saint Jean, nous en avons créé trois : EmerJean, qui emploie aujourd’hui 100 salariés, Enjoué, qui en compte 16 et Engagés qui en a embauché 23. Bross’Up dans le quartier Les Brosses, en emploie déjà 25.
Il y a deux sources principales de financement. La première, qui vient de l’État, correspond à 95 % d’un Smic par salarié. En termes d’équilibre budgétaire, on considère qu’il s’agit d’une réaffectation des coûts de prise en charge des personnes privées d’emploi, comme le RSA, et des manques à gagner induits (taxes, impôts…).
La prise en charge des autres charges de l’EBE (locaux, équipements, informatiques, charges variables…) proviennent de la vente des biens et services proposés par les EBE. Ces dernières doivent donc trouver un modèle économique viable. De notre côté, nous fournissons une partie des locaux aux EBE et nous finançons les services chargés d’identifier les personnes durablement privées d’emploi sur le territoire.
Hayat Boaira
Directrice Projet Territoires Zéro Chômeur, ville de Villeurbanne