Gouvernance
Date de publication : 23/07/2024
Philippe Guay
Les fusions, scissions et apports partiels d’actifs sont des pratiques de plus en plus courantes dans les associations. Pour sécuriser ces démarches, dans certains cas prévus par la loi, les structures doivent faire appel à un commissaire aux apports, à la fusion ou à la scission. Focus dans cet article.
Depuis dix années, avec la publication de la loi ESS, le monde associatif bénéficie d’un dispositif relatif aux opérations de restructurations qui lui est propre.
Ce dispositif s’applique aux fusions, scissions et apports partiels d’actifs entre associations ou entre fondations. Le régime juridique des « fusions, scissions et apports partiels d’actifs » résulte d’un nouvel article 9 bis introduit dans la loi du 1er juillet 1901. Il n’est applicable qu’entre associations et fondations, à l’exclusion de tout autre organisme sans but lucratif. En conséquence, les opérations entre associations et un autre organisme sans but lucratif (exemple : syndicat) restent soumises au régime de la liberté contractuelle.
Le contexte qui a incité le législateur à se pencher sur ce sujet résulte du constat toujours actuel que les associations de petite et moyenne taille se trouvent engagées dans des actions de partenariat et de rapprochement qui les conduisent de plus en plus à la nécessité de mettre en commun leurs moyens et leurs projets, parfois leur survie…
Ces coopérations les conduisent, souvent, à vouloir franchir un pas supplémentaire en engageant la fusion de leurs structures. Dans d’autres domaines d’activités, plusieurs opérations sont encouragées et soutenues par les financeurs publics qui y voient un moyen d’optimiser certains coûts, mutualiser et professionnaliser ainsi la relation « public/privé » comme c’est le cas avec les CPOM (contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens) dans le secteur sanitaire et médico-social. Enfin, la réforme territoriale, initiée en 2014, a entraîné une refonte de la carte des régions métropolitaines françaises qui a provoqué une vague conséquente de restructurations d’entités représentatives à l’échelon local ou régional.
Le dispositif mis en place par la loi ESS du 31 juillet 2014 donne un cadre juridique à ces opérations de fusions, scissions et apports partiels d’actifs qui sont maintenant également encadrées au plan fiscal et nul ne peut, en principe, y échapper. Cette réglementation s’impose à qui veut entreprendre une telle opération et ce, qu’elle qu’en soit son envergure et sa dimension financière.
Outre les différents schémas possibles que nous avons déjà décrits dans des rubriques précédentes, le cœur même de l’opération réside sur l’établissement et la rédaction d’un traité qui sera accepté par les organes délibérants des différentes parties (traité d’apport, traité de fusion, traité de scission). L’opération mise en place vise à assurer le transfert d’une universalité de patrimoine composée d’actifs, de passifs, mais aussi de créances et de dettes permettant d’assurer, aux mêmes conditions, la poursuite d’une activité préexistante.
La fusion, scission ou apport partiel d’actif constitue un contrat à titre onéreux. Juridiquement, l’apport est un contrat à titre onéreux, c’est-à -dire que chaque partie en attend une contrepartie. En cas d’apport à une société, la contrepartie est constituée par l’attribution de droits sociaux, c’est-à -dire que l’association qui apporte une branche complète et autonome d’activité à une société commerciale, par exemple, reçoit des titres de cette société en contrepartie. Pour les autres types d’opérations, le législateur, et c’est une des principales novations apportées par la loi ESS, considère que la contrepartie est constituée par la prise en charge d’une obligation matérielle ou morale, telle que la poursuite de l’activité ou le maintien des biens apportés à leur affectation d’origine dans l’entité apporteuse ou absorbée dans l’opération. La formulation de cette contrepartie attachée à la réalisation de l’apport doit être suffisamment probante pour exclure tout risque de requalification éventuelle de l’opération en une autre opération juridique, et plus particulièrement en un acte à titre gratuit.
Pour sécuriser certaines de ces opérations, les plus importantes, le texte de loi a introduit une obligation légale en confiant une mission de contrôle formelle à un commissaire aux apports, à la fusion ou à la scission. Lorsque la valeur totale de l’ensemble des apports est d’un montant au moins égal à un seuil fixé par voie réglementaire, les délibérations prises par les assemblées générales respectives des associations concernées sont précédées de l’examen d’un rapport établi par un commissaire à la fusion, à la scission ou aux apports, désigné d’un commun accord par les associations qui procèdent à l’apport.
Le décret d’application qui a suivi la promulgation de la loi fixe le seuil à 1.550.000 euros. Ce montant correspond à la somme des éléments d’actifs transmis lors de l’opération. La mission du commissaire à la fusion, à la scission ou aux apports porte sur l’ensemble constitué par les actifs, les passifs et les engagements, c’est-à -dire, tous les éléments décrits dans le traité. Ce seuil est impératif mais, par mesure de sécurité, une telle mission peut être décidée volontairement par les parties au contrat même si son montant n’est pas dépassé.
Les commissaires aux apports sont choisis par les associations participant à l’opération parmi les commissaires aux comptes inscrits sur la liste prévue à l’article L.822-1 du code de commerce (les mêmes que les commissaires aux comptes habituels) ou parmi les experts inscrits sur une des listes établies par les cours et tribunaux. Ils sont désignés par le président du tribunal judiciaire, statuant sur requête. Ce peut être une personne physique ou une personne morale.
En principe, ce sont donc les assemblées générales des deux associations concernées qui choisissent d’un commun accord le nom du commissaire souhaité et demandent au président du tribunal judiciaire d’en effectuer la nomination.
La mission de commissaire à la fusion, aux apports ou à la scission est une mission prévue par un texte législatif. Mais ce n’est ni une mission de certification des comptes, ni une mission d’audit, ni un examen limité et encore moins une diligence directement liée à la mission du commissaire aux comptes . Elle obéit à des règles de comportement spécifiques que la CNCC – Compagnie nationale des commissaires aux comptes a rappelées et commentées dans un important avis technique qu’elle a publié à l’occasion de la promulgation du décret.
Avant d’accepter sa mission, le commissaire à la fusion, aux apports ou à la scission se doit d’examiner sa situation au regard des principes généraux du code de déontologie de la profession de commissaire aux comptes, notamment en matière d’indépendance et de compétence. Il doit vérifier qu’il dispose, ou peut s’entourer, de l’expérience nécessaire pour faire face aux difficultés de la mission.
Le commissaire à l’opération est choisi sur la liste des commissaires aux comptes
(article 15-6 du décret du 16 août 1901), il peut se faire assister d’experts et peut demander la communication de tous les documents qu’il jugera utiles.
Le rapport du commissaire à l’opération doit être mis à disposition des membres ou des tiers 30 jours au moins avant la date des délibérations décidant de l’opération ou de la publication dans un journal d’annonces légales (qui doit elle-même intervenir 30 jours avant les délibérations).
Le rapport se prononce sur les méthodes d’évaluation et sur la valeur des actifs et du passif des associations concernées et expose les conditions financières de l’opération.
Sa démarche professionnelle consiste à se prononcer sur la méthode d’évaluation retenue pour valoriser les opérations inscrites dans le traité de fusion, d’apport ou de scission et sur la valeur de l’actif et du passif transmis. Il vérifie la règlementation comptable appliquée en matière de valorisation. Il contrôle la réalité des apports et apprécie l’incidence éventuelle d’éléments susceptibles d’en affecter la propriété et la valeur.
Le commissaire désigné pour ces opérations devra mettre en œuvre son jugement professionnel pour calibrer et adapter le volume de ses interventions en fonction des objectifs de sa mission. Sur la base des comptes servant à l’opération, il organisera des investigations qui seront plus ou moins étendues selon que ces comptes auront déjà fait l’objet de contrôles par d’autres professionnels ou d’une certification par le commissaire aux comptes. Il portera plus particulièrement ses observations sur la méthode de valorisation retenue pour les apports (valeur comptable ou valeur réelle) ou sur les évènements post-clôture en cas d’opération à effet rétroactif.
La mission du commissaire à la fusion, aux apports ou à la scission se termine par la rédaction et la remise de son rapport dans les délais prescrits par les textes. La forme du rapport n’est pas exigée par les textes, mais l’avis technique de la CNCC indique une trame et un plan type qui permettent d’adopter une forme recommandée par la profession. La date inscrite sur le rapport du commissaire aux apports, à la fusion ou à la scission revêt une importance capitale car elle fixe l’état des informations dont il a disposé pour émettre son rapport.
Ainsi, si des informations nouvelles lui sont communiquées après cette date, leurs incidences ne peuvent être opposées au commissaire à la fusion, aux apports ou à la scission. La date inscrite sur le rapport correspond à la fin de ses travaux. Le commissaire à la fusion, aux apports ou à la scission devra s’appuyer sur l’existence d’une lettre d’affirmation établie par les dirigeants des entités parties à l’opération.
Dans certaines situations particulières, il se peut que les parties en présence souhaitent l’intervention de deux ou plusieurs commissaires aux apports. C’est possible. Dans ce cas, il n’y aura qu’un seul rapport qui sera signé conjointement. Et en cas de désaccord des professionnels, sur un point particulier, par exemple, il sera fait mention des avis partagés dans le rapport commun des différentes opinions exprimées en les attribuant à chacun d’eux.
Comme il vient d’être dit, le dépôt du rapport du commissaire à la fusion, aux apports ou à la scission marque la fin de sa mission. Il n’a pas à effectuer un suivi des évènements survenus éventuellement entre la date de son rapport et la date de l’assemblée générale appelée à se prononcer sur l’opération. D’une manière générale, il ne participe pas à cette réunion et, en tout état de cause, il ne peut y prendre la parole.
Avant d’accepter une mission de commissaire à la fusion, aux apports ou à la scission relative à une opération de restructuration associative, le professionnel pressenti devra, dans un premier temps, veiller au respect des règles d’indépendance qui s’imposent à lui. Ensuite, il conviendra qu’il vérifie l’étendue de la mission qui est envisagée par l’ordonnance de nomination.
Son attention soutenue devra se porter en priorité sur le respect du calendrier de l’opération, les méthodes de valorisation des apports et les éventuelles opérations à effet différé.
Son comportement devra lui permettre d’être particulièrement attentif à vérifier l’absence de surévaluation de l’actif ou de sous-évaluation du passif. Pour cela, sa responsabilité sera partagée avec celle des dirigeants en obtenant une lettre d’affirmation de leur part.
L’exécution de sa mission sera ponctuée par la rédaction d’un rapport en prenant en compte les règles de la doctrine publiée par la CNCC, la documentation parfaite de son dossier de travail et l’observation stricte et sans reproche du secret professionnel auquel il est normalement habitué.
Philippe Guay
Expert-comptable, commissaire aux comptes, spécialisé ESS
Philippe est un expert-comptable et commissaire aux comptes qui a accompagné pendant de nombreuses années de multiples associations, fonds et fondations.