Comptabilité
Date de publication : 20/12/2022
Philippe Guay
Instaurée depuis plus de 20 ans dans les règles comptables propres au secteur associatif, la notion de fonds dédiés est venue clarifier toute notion de provision pour charges correspondant à des projets en cours au moment de la clôture d’un exercice comptable (règlement CRC n°99-01 du 16 février 1999).
Et le nouveau règlement ANC n°2018-06 n’a pas remis en cause les principes adoptés depuis cette date sur la comptabilisation des fonds dédiés.
Cet article est destiné à faire le point sur les règles fondamentales qui permettent d’identifier correctement les sommes qui méritent de constater ce passage de ressource d’un exercice à l’autre tant ses conséquences peuvent être déterminantes au moment de la clôture des comptes.
La définition qu’il convient de retenir est la suivante : « Les fonds dédiés sont les rubriques du passif qui enregistrent, à la clôture de l’exercice, la partie des ressources affectées par des tiers financeurs à des projets définis, qui n’a pas pu être utilisée conformément à l’engagement pris à leur égard » (CRC n°99-01, article 3).
Le nouveau règlement comptable complète cette disposition ainsi : « La partie des ressources dédiées par des tiers financeurs à des projets définis qui, à la clôture de l’exercice, n’a pu être utilisée conformément à l’engagement pris à leur égard est comptabilisée au compte de passif « Fonds dédiés » avec pour contrepartie une charge comptabilisée dans le compte « Reports en fonds dédiés » » (ANC n°2018-06, article 132-1).
A voir aussi :
Regard d’experts
Les fonds dédiés d’une association : tout comprendre
Si on reprend en détail la lecture précise de ces deux textes, on comprend déjà qu’il n’est pas possible de pratiquer des fonds dédiés de manière comptable si les fonds reçus au titre d’une des ressources devant financer une opération ne sont pas « affectés » par le financeur. Cette notion d’affectation est renforcée par le nouveau règlement comptable qui précise, dans ses commentaires infra réglementaires, les conditions cumulatives qui définissent un projet :
En principe, l’association élabore au préalable un dossier à l’appui duquel elle va étayer son appel à projet ou sa demande de financement. Ce dossier prévisionnel présente l’objet et la destination du projet, sa dimension et son calendrier de mise en œuvre. Comme pour tout dossier prévisionnel, le projet doit faire l’objet d’une évaluation des coûts prévisionnels qui composent le programme dans ses différentes phases.
L’entité pourra suivre l’utilisation des fonds dédiés au moyen d’une comptabilité autonome ou analytique par section ou par projet.
La profession comptable, en partenariat avec les organisations regroupant les organismes spécialisés dans les opérations caritatives, a pris position et apporté des commentaires complémentaires au règlement comptable pour préciser la position à retenir lors de situations de catastrophes pour lesquelles les donateurs et mécènes ont spontanément adressé leurs dons sans que l’entité n’ait eu le temps de lancer son appel à la générosité et d’établir de budget. Dans ce cas, l’entité doit pouvoir démontrer, dans les meilleurs délais, qu’elle est en mesure d’agir et établir un budget prévisionnel des actions d’urgence qu’elle compte mettre en œuvre dans cette situation.
Dès lors que le don a été accepté par l’association, elle s’engage à mettre en œuvre l’action pour laquelle le donateur a fait ce don.
Cependant, le règlement comptable prévoit le traitement de la situation particulière où le transfert du solde d’un fonds dédié à un autre fonds dédié ne peut être réalisé que lorsque le projet auquel il a été affecté est terminé, et à la condition que l’entité ait reçu l’accord du donateur pour financer un autre projet défini (ANC n°2018-06, article 134-2).
L’approbation par les donateurs de la mention figurant dans l’appel à la générosité selon laquelle l’entité se réserve le droit de réaffecter les dons affectés non consommés à d’autres missions décidées par l’organe chargé d’arrêter les comptes et devant être acté dans un procès-verbal conduit à autoriser le reclassement comptable des dons non consommés dans un autre fonds dédié.
Il n’est possible, à la clôture d’un exercice comptable, de ne pratiquer des fonds dédiés que sur trois catégories de ressources :
Les sommes comptabilisées en fonds dédiés correspondent soit à la part non consommée s’il s’agit d’une convention annuelle dont le financeur ne réclame pas la restitution, soit la part non consommée de la partie rattachée à l’exercice s’il s’agit d’une convention pluriannuelle.
Le plan de comptes a été aménagé en conséquence. Les comptes suivants ont ainsi été créés :
Ces comptes sont alimentés par une écriture de dotation (compte de charges, 689 – Reports en fonds dédiés, déclinés selon la même nature que les comptes ci-dessus) et leur consommation par un compte de reprise (compte de produit, 789 – Utilisation des fonds dédiés, déclinés selon la même nature que les comptes ci-dessus). Il s’agit d’une écriture de fin d’exercice destinée à reporter sur l’exercice suivant la partie non consommée des ressources perçues au cours d’un exercice et destinées à financer un projet bien défini. Toutefois, le règlement comptable précise qu’à l’ouverture de l’exercice suivant, il convient de réintroduire cette ressource dans les produits du nouvel exercice, au fur et à mesure de la réalisation du projet défini.
La notion de « subvention d’exploitation » telle qu’elle est définie à l’article 132-1 du règlement ANC ne vise que les « subventions publiques » versées par une autorité administrative répondant à la définition légale qui en est donnée à l’article 9-1 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000. Ces ressources sont comptabilisées au compte « 74 – Subventions de fonctionnement » du plan comptable.
Concernant la comptabilisation des fonds dédiés, à la clôture de l’exercice, on devra faire la distinction entre les conventions de financement par subventions auxquelles sont attachées une périodicité ou des jalons prescriptifs, de celles qui définissent le financement d’actions ou d’opérations attachées à l’exécution ou la réalisation d’un projet.
Dans le premier cas, lorsque l’analyse de la convention de financement permet de détecter une quote-part de financement allouée à d’autres exercices, il convient, à la clôture de l’exercice, d’enregistrer un « produit constaté d’avance » (compte 487 du plan comptable).
Dans le second cas, la fraction reçue et non utilisée des ressources relatives au projet financé est à comptabiliser en fonds dédiés.
Ce raisonnement s’applique également pour le cas des conventions pluriannuelles. Dans ce cas, si la convention vaut « crédit » pour plusieurs exercices, c’est bien sa totalité qu’il convient de comptabiliser et les parts affectées aux exercices futurs qui seront reportées selon le raisonnement développé ci-dessus.
Une contribution financière est un financement obtenu auprès d’une personne morale de droit privé. A l’instar de ce que représente la notion de « subvention » pour les fonds d’origine « publique », la contribution financière est un soutien facultatif octroyé par une entité de droit privé. Elle ne constitue pas la rémunération de prestations ou de fournitures de biens à l’entité qui la reçoit. On logera, plus particulièrement, dans ce vocable, les aides financières reçues d’autres associations ou fondations telles que les unions et fédérations auxquelles l’organisme peut se trouver affilié, mais également les mécènes et donateurs, etc.
En ce qui concerne la comptabilisation de fonds dédiés à la clôture de l’exercice, le raisonnement est le même que celui développé ci-dessus en matière de subvention publique. Il ne sera possible de comptabiliser des fonds dédiés que pour les contributions financières reçues de personnes morales de droit privé à but non lucratif. Cette exigence exclut donc du raisonnement tous versements en provenance d’une entreprise et qui ne serait pas éligible au régime fiscal de faveur du mécénat (cas rare).
Nous venons de voir que les principes de comptabilisation des fonds dédiés s’applique aux contributions financières reçues d’autres entités à but non lucratif. Les dispositions du nouveau règlement comptable (ANC n°2018-06) étendent ce dispositif à une situation particulière qui s’apparente à des financements durables octroyés par des tiers financeurs, tout comme les subventions d’investissement pour le domaine public.
Ainsi, pour les contributions financières qui financent une immobilisation amortissable, il est possible de rapporter en produits les fonds dédiés sur la même durée que celle retenue pour l’amortissement de l’immobilisation. Toutefois, le règlement comptable précise que le choix de cette méthode est applicable à l’ensemble des immobilisations amortissables. Il donne lieu à une information circonstanciée dans l’annexe tant sur la méthode retenue que sur le suivi des fonds dédiés relatifs à ce financement.
Le règlement comptable n’apporte pas de précisions particulières sur la définition et composition des ressources éligibles et comptabilisées en fonds dédiés. Cependant, il convient d’apporter un attachement particulier à s’assurer que seules les ressources faisant l’objet d’une affectation « par les donateurs » peuvent faire l’objet de fonds dédiés à la clôture des comptes, dès lors qu’elles n’ont pas encore été utilisées, ou seulement en partie, dans le cadre du projet auquel elles sont attachées.
En ce qui concerne les campagnes d’appel à dons, l’affectation est celle définie dans le message formulé par l’organisme. Celui-ci doit être suffisamment clair et précis pour ne souffrir aucune contestation.
En ce qui concerne le mécénat, l’affectation de la ressource fait l’objet d’une modalité rédigée dans le cadre de la convention convenue entre l’association et l’entreprise mécène.
En ce qui concerne les legs, donations et assurances-vie, c’est le donateur qui définit (bien souvent en concertation avec l’association bénéficiaire) l’affectation de la somme léguée ou donnée. Il convient, également ici, que cette clause soit rédigée avec détail et précision
Au niveau du bilan, les fonds dédiés sont inscrits au passif sous la rubrique « Fonds reportés et dédiés » au-dessus des provisions pour risques et charges.
Les utilisations ou reports sont présentés au niveau du compte de résultat dans les charges et produits d’exploitation sous les rubriques « Report en fonds dédiés » et « Utilisation des fonds dédiés ».
Comme il est dit plus haut, lorsque les ressources dédiées à un projet défini n’ont pas été totalement utilisées alors même que le projet est terminé et que l’organe habilité décide de transférer le solde des fonds dédiés à un autre projet défini avec l’accord du financeur ou donateur, une information est mentionnée dans l‘annexe des comptes au titre des transferts réalisés au cours de l’exercice. Dans ce cas, le nouveau règlement affirme le principe selon lequel le solde des fonds dédiés est « réaffectable » après obtention de l’accord du financeur ou donateur sans passer par le compte de résultat. Cette disposition est plutôt novatrice car elle confère aux tableaux qui accompagnent l’annexe aux comptes annuels une importance toute particulière ou « comment faire de la comptabilité sans passer d’écriture comptable » !
A voir aussi :
Annexe comptable des associations et
autres organismes soumis au règlement ANC n°2018-06
La pratique et la comptabilisation des fonds dédiés en fin d’exercice comptable regroupe un ensemble de règles et de dispositions qui ne sont applicables que dans un cadre précis et des circonstances particulières. Il convient de les appliquer en respectant les principes énoncés par le régulateur et rien que ceux-ci. Toute application dérogatoire ou interprétative à ces règles conduirait inévitablement à la présentation de comptes inexacts. De même, les sources analytiques retenues pour quantifier les éléments entrant dans la valorisation des fonds dédiés doivent provenir d’une organisation élaborée et validée par un système de contrôle et de gestion testé et approuvé par les instances dirigeantes de l’association. Il en va de la sincérité de l’élaboration des comptes annuels et de la détermination du résultat annuel.
Philippe Guay
Expert-comptable, commissaire aux comptes, spécialisé ESS
Philippe est un expert-comptable et commissaire aux comptes qui a accompagné pendant de nombreuses années de multiples associations, fonds et fondations.