Fonds de dotation - Fondation
Date de publication : 12/04/2023
Philippe Guay
Partant sur le principe d’une structure juridique assez libre, le législateur a imaginé en contrepoids plusieurs causes de dysfonctionnement des fonds de dotation afin de sanctionner le non-respect de la réglementation. Ces dysfonctionnements peuvent entraîner des conséquences importantes pour l’activité des fonds de dotation. Analyses des différents cas de figure.
Un vent de liberté soufflait sur la Loi LME en ce lundi 4 août 2008 lors de la création du fonds de dotation. Le législateur a voulu accompagner les formalités constitutives du fonds de dotation d’un minimum de contraintes. Simplicité était le maître-mot qu’il convenait de retenir.
Mais ce n’est pas parce que le fonds de dotation était débarrassé du fardeau administratif de la reconnaissance d’utilité publique qu’il n’en devait pas avoir un comportement dénué de toute règle vertueuse.
Après avoir disposé que le fonds de dotation soit soumis au contrôle quasi systématique d’un commissaire aux comptes, la loi instaure une série de sept situations ou inobservations qui constituent des « dysfonctionnements graves » dont les sanctions, pour certaines, sont prévues par les textes.
La loi séparatisme du 21 août 2021, en révisant et actualisant le texte originel est venue compléter cette liste puisque ce sont désormais douze cas de dysfonctionnements que le décret n°2009-158 du 11 février 2009 mis à jour par le décret n°2022-813 du 16 mai 2022 détaille par le menu.
Une douzaine de situations constituent des dysfonctionnements, dès lors qu’ils affectent la réalisation de l’objet du fonds de dotation.
A ce titre, le décret comprend la description statutaire de gestion des placements et de la politique d’investissement du fonds tels que la loi l’exige. Et plus particulièrement, le respect des placements selon ceux qu’énumère l’article R. 332-2 du Code des assurances. De même, les statuts doivent obligatoirement prévoir une disposition relative à la création, auprès du conseil d’administration, d’un comité consultatif, lorsque le montant des dotations excèdera un million d’euros.
On soulignera, ici, le pluriel associé à cet article du décret lors de sa mise à jour récente de mai 2022. Le seuil d’un million d’euros concerne bien « l’ensemble » des dotations, celle d’origine et celles qui viennent compléter la dotation, et non pas seulement la dotation initiale, même si son montant a été indiqué dans les statuts du fonds lors de sa création.
Le décret de 2009 rappelle la nomination d’un commissaire aux comptes dans les fonds de dotation telle que prévue par la loi. Il complète cette disposition en précisant quelques modalités relatives à la transmission des documents à remettre au commissaire aux comptes en vue de l’exercice de sa mission (45 jours avant la date de la réunion du conseil d’administration convoquée pour leur approbation).
De même, l’article 4 du décret précise les obligations, délais et modalités relatives à la transmission des comptes annuels à l’autorité administrative ainsi que leur publicité légale.
Tous manquements ou inobservations à ces obligations constituent des dysfonctionnements qui entraineront inévitablement des sanctions.
Introduite par la loi ESS du 31 juillet 2014, cette obligation de constituer une dotation initiale minimale, en numéraire, revient aux fondateurs des fonds de dotation nouvellement créés depuis cette date. En effet, la disposition prise n’avait :
Ce second point est désormais réglé puisque la mise à jour du décret introduit l’exigence que cette dotation initiale minimale soit libérée au cours du premier exercice comptable. Les fonds qui n’auront pas respecté cette exigence se trouveront, désormais, en situation de dysfonctionnement (loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire).
Conséquence logique des caractéristiques commentées ci-avant, la dotation initiale minimale de 15.000 euros doit être constituée de valeurs en numéraire. Cela veut dire qu’elle ne peut en aucun cas être la contrepartie d’un apport en dotation de tout ou partie d’un bien meuble ou immeuble ou, encore moins, d’une valeur immatérielle. Enfin, le fonds de dotation doit en avoir la libre et entière disposition, ce qui veut dire qu’un apport assorti d’un droit de reprise ne pourra, non plus, faire l’affaire pour satisfaire cette exigence.
Le texte vise le fait, pour le fonds de dotation de disposer ou de consommer tout ou partie de la dotation en capital dont il bénéficie alors que les statuts prévoient que celle-ci est non-consomptible ainsi que de disposer ou de consommer tout ou partie de la dotation en violation des clauses statutaires ou pour une cause étrangère à la réalisation des œuvres ou des missions d’intérêt général prévues par la loi.
Ce dysfonctionnement est certainement l’un des plus grave que les services de l’autorité administrative auront le souci de cerner avec attention.
En effet, la consommation active de la dotation, lorsque celle-ci ne doit pas être consommée, constitue une violation grave des statuts qui mérite d’être immédiatement sanctionnée.
Il en est de même lorsque les activités développées par le fonds de dotation « dérivent » vers des champs d’action qui l’éloignent incontestablement de son objet et de toute notion d’intérêt général.
Plusieurs fonds de dotation ont été constitués pour une période déterminée ou pour la réalisation d’un projet délimité dans le temps. Il convient de rester attentif au déroulement programmé des opérations.
Tout retard ou toute prolongation dans la réalisation du projet nécessite, à un moment ou à un autre, de prendre des dispositions relatives à la prorogation de la durée du fonds. Dans ce cas, une modification des statuts s’impose.
Cette situation s’observe fréquemment lorsque le projet s’appuie sur la consommation de la dotation du fonds jusqu’à son extinction. La réalité démontre, bien souvent, que le calendrier prévu est difficile à respecter. Mais lorsque le fonds se trouve dans la situation où les projets pour lesquels il a été créé sont aboutis et que les dirigeants constatent l’arrivée du terme de l’existence pour laquelle il a été conçu, il convient d’engager la dissolution et la dévolution du solde restant à l’issue des opérations de liquidation telle que les statuts ou le conseil d’administration en disposent.
Dans la même logique, certains fonds de dotation se sont donnés une date limite à leur existence. Cette contrainte supplémentaire que les fondateurs ont donné aux statuts du fonds les oblige ainsi à un devoir de surveillance au moment où le terme statutaire arrivera. Sinon, le dépassement constituera un dysfonctionnement qui méritera le rappel de l’autorité administrative.
Plus de 90% des fonds de dotation ont déclaré une durée « indéterminée » ou « illimitée » dans leurs statuts, au moment de leur constitution. Ceux-ci ne devraient pas trop être concernés par le risque de dysfonctionnement décrit ici.
Les organismes qui font appel à la générosité du public sont soumis à des formalités administratives qu’ils doivent respecter. Les fonds de dotation en font partie. Mais, en plus, la loi exige qu’ils doivent, au préalable, demander une autorisation administrative avant d’engager une campagne de collecte et d’appel à la générosité.
Cette spécificité consiste en une demande déposée auprès des services de la préfecture du siège du fonds, accompagnée d’une attestation de non-condamnation délivrée par tous les membres du conseil d’administration. Après examen de la demande, le préfet délivre un arrêté qu’il convient de renouveler chaque année. L’inobservation de ces règles constitue un dysfonctionnement qui est susceptible de remettre en cause la légalité de la campagne d’appel à générosité du public.
Mais il faut savoir, également, que cette autorisation d’organiser des campagnes d’appel à la générosité du public peut être suspendue ou retirée lorsque l’autorité administrative a, par ailleurs, engagé une procédure de suspension d’activité du fonds ou lorsque le fonds n’a pas :
Cette situation se passe de commentaire. Elle est comparable à celle de l’automobiliste auquel on a retiré son permis de conduire et qui continue à utiliser son véhicule. Une telle attitude est suffisamment grave pour comprendre aisément que le dysfonctionnement qu’elle engendre sera suivi d’effets pouvant entrainer la mise en liquidation du fonds par décision administrative.
Depuis la loi du 4 août 2008, le message est clair et la dérogation prévue au texte (dérogation par arrêté conjoint des ministres chargés de l’économie et du budget) n’a été mise en œuvre que très peu de fois.
Dans leurs commentaires sur les fonds de dotation, les services de la DAJ précisent que tout apport indirect, par prêt gratuit de personnel, de locaux ou de moyens, de quelque nature qu’ils soient, constitue un financement public interdit. On comprend, ici, que cette restriction relative aux fonds publics va bien au-delà de la simple perception de subventions publiques versées en numéraire. Par ailleurs, dès la mise en place des fonds de dotation, plusieurs réponses ministérielles ont complété la doctrine en précisant que les contributions financières ayant un caractère de fonds publics étaient également interdites aux fonds de dotation (dotations globales, prix de journée, etc.).
Le pouvoir d’investigation dont il est question ici est évoqué au premier alinéa du §VII de l’article 140 de la loi. A ce titre, la préfecture, pour assurer son rôle de contrôle administratif, peut se faire communiquer tous documents et procéder à toutes investigations utiles. Ces modalités sont détaillées dans le décret de 2009 relatif aux fonds de dotation.
Bien évidemment, lorsque les dirigeants du fonds ne donnent pas suite à toutes demandes d’informations émanant de la préfecture, ils mettent le fonds en situation de dysfonctionnement et s’exposent aux sanctions prévues par les textes.
Ce dernier cas de dysfonctionnement évoque la situation du fonds de dotation qui rencontre des difficultés financières ou se trouve dans une situation telle que son existence risque d’être compromise.
Le législateur de 2008 a prévu, dans ce cas, le déclenchement d’une procédure d’alerte qui incombe au commissaire aux comptes, dans l’exercice de sa mission. L’article 140 de la loi consacre tout un paragraphe à ce sujet. On y voit que dès qu’il a engagé la procédure d’alerte (ou pratiquement), le commissaire aux comptes informe l’autorité administrative de cette situation. Le préfet a donc ainsi tous les moyens pour être informé et suivre l’évolution de la situation du fonds en difficulté, se rapprocher de ses dirigeants et comprendre les mesures prises. Ce dispositif a été prévu pour éviter que des dirigeants ne se retrouvent seuls au moment de prendre des décisions qui s’imposent.
Les sanctions dont les fonds de dotation négligents ou irréguliers peuvent faire l’objet ont été redéfinies par la loi n°2021-1109 du 24 août 2022 et par le décret n° 2022-813 du 16 mai 2022.
Le préfet peut suspendre l’activité du fonds de dotation lorsque celui-ci ne transmet pas, ou de manière incomplète, dans les délais fixés, le rapport d’activité, les comptes annuels et le rapport du commissaire aux comptes lorsque celui-ci est exigé. Si dans un délai de six mois après la décision de suspension, le fonds de dotation ne s’est pas conformé à ses obligations, le préfet peut saisir l’autorité judiciaire aux fins de dissolution.
La loi de modernisation de l’économie permet aussi au préfet lorsqu’il constate que l’objet n’est pas conforme à l’intérêt général, d’en conclure qu’il existe un dysfonctionnement. Initialement, la loi avait prévu que ces dysfonctionnements soient associés à une condition de gravité. Cette notion a été abandonnée pour une capacité plus large donnée au préfet, lui permettant, dès lors qu’il constate que des dysfonctionnements affectent la réalisation de l’objet, que l’une des activités du fonds ne relève pas d’une mission d’intérêt général ou que le fonds méconnait les obligations prévues s’il bénéficie de fonds étrangers, de suspendre l’activité du fonds pour une durée maximale de 18 mois et/ou saisir l’autorité judiciaire aux fins de dissolution.
Désormais, le préfet notifie la suspension de l’activité du fonds de dotation et la levée de suspension au président du fonds, au commissaire aux comptes et aux établissements bancaires du fonds par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par tout autre moyen permettant d’attester de la date de réception. Il procède également à la publication de sa décision au Journal officiel dans un délai d’un mois. La décision doit être motivée. La décision de suspension mentionne la durée et les modalités d’exécution de la suspension (décret n°2009-158 art.10 modifié par décret n°2022-183 art.13).
Philippe Guay
Expert-comptable, commissaire aux comptes, spécialisé ESS
Philippe est un expert-comptable et commissaire aux comptes qui a accompagné pendant de nombreuses années de multiples associations, fonds et fondations.